ENTRETIEN / Explosons les codes sexuels ! Une ancienne du FHAR parle

Née en 1947, Lola Miesseroff a pris dès sa jeunesse une part active à la critique et aux luttes sociales. Elle raconte ici son engagement dans le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) au début des années soixante-dix, et bien d’autres choses encore. Nous avons préféré couper certains passages, détails concernant des personnes, anecdotes ou vives digressions qui auraient triplé le volume de ce texte. En attendant qu’un jour Lola Miesseroff ait l’envie et le loisir d’écrire ses Mémoires, on lira avec intérêt son Voyage en outre-gauche. Paroles de francs-tireurs des années 68, à paraître en 2018 aux éditions Libertalia1. Pour plus de développements sur les tumultueuses années 1970, voir le chapitre 11 de la série « Homo » : « Être ce que nous ne savons pas encore (Stonewall, le FHAR et après) ».

Une éducation sentimentale avant 1968

Lola : Dès l’enfance, j’étais très entourée d’homosexuels. Mes parents avaient un camp naturiste de l’espèce, disons, libertaire, et il y a toujours eu pas mal d’homosexuels hommes et femmes dans cet environnement-là2.

Je connaissais des couples de filles, des couples de garçons. Nous avions deux amies homosexuelles fort proches, l’une avait des maîtresses, mais elle a aussi eu très longtemps un amant, qui était un homme marié, et elle a fini par vivre avec une fille à la fin de sa vie. J’étais extrêmement accoutumée à la non-catégorisation de l’orientation sexuelle. Qu’on puisse être avec une fille ou avec un garçon à certaines époques de sa vie, voire simultanément, ça me paraissait tout à fait normal.

Très jeune, j’ai eu des copains qui se sont révélés, souvent par la suite, homosexuels. J’ai toujours aimé les garçons féminins, en réalité. Et j’ai toujours détesté les filles trop féminines, au sens cliché traditionnel du terme, bien sûr. Ça ne veut pas dire que je n’aime pas qu’elles soient belles comme des filles, moi-même je suis assez fille aussi, mais je suis aussi assez garçon.

Très tôt, j’ai été ce qu’on appelle « une fille à pédés ». Mon père disait :« Il y a Sainte Rita des Voyous, et il y a Sainte Lola des Pédés. » J’ai été par ailleurs très jeune plutôt avertie des choses du sexe : ma mère était au Planning familial, militait pour l’avortement, et régulièrement il y avait des femmes qui venaient chez nous pour se faire avorter ; je ne sais pas où d’ailleurs, mon père ou ma mère les emmenait quelque part, et après elles restaient se reposer à la maison. J’ai donc su très tôt ce qu’était l’avortement. Et très tôt, que le plaisir féminin n’était pas forcément au rendez-vous des rapports sexuels. On a rapporté à mes parents, morts de rire, que je faisais de doctes exposés sur la question à mes petits camarades alors que j’avais quelque chose comme 12-13 ans et n’avais aucune expérience en la matière.

Et puis est arrivée la fin de mon lycée. À Aix-en-Provence, étudiante, je me suis retrouvée étroitement liée avec tout un milieu mélangé, homo et hétéro, et petit à petit, autour de moi, il y avait toute une faune de garçons plus quelques filles, dont ma copine de lycée, qui était venue à Aix avec sa compagne rencontrée dans une école religieuse. Mireille était ce qu’on appelle un garçon manqué, pas butch, mais alors je n’avais aucune idée qu’elle pouvait être lesbienne, c’était un petit mec quoi. Mireille, je l’adorais, elle était du même bled que moi.

On était une bande de gens absolument épouvantables, on foutait un bordel noir, on passait notre temps à insulter tout le monde !

G.D. : En quelle année ?

Lola : En 1965. On est à la fac. Avec déjà tout ce background de garçons et de filles homosexuels. J’avais toujours plus ou moins un petit copain, qui parfois était bisexuel, parfois pas. Autour de nous il y avait toute cette faune mélangée, garçons et filles de tous genres, de tous les sexes, comme dirait Charles Aznavour. On avait conscience de ce qu’on n’appelait pas encore l’homophobie à l’époque. On faisait beaucoup de provocation sexuelle, de la provoc en général. On emmerdait tout le monde, on était subversifs, mais sans avoir un grand discours politique autour. Parmi nous, certains sont ensuite devenus maoïstes de la tendance la plus dure, il y avait même un althussérien, moi j’étais vaguement anar. Mais on se rendait bien compte que ce monde n’était pas fait pour nous. On haïssait ce monde complètement. On passait notre temps à voler, à foutre le souk. Quand on nous invitait chez les mondains, alors là, on se conduisait comme des salauds, on y allait parce qu’il y avait de quoi picoler et bouffer, ce qui nous arrangeait bien, et plus on se conduisait mal, plus ils nous invitaient. C’était extrêmement drôle. Il y avait beaucoup de copains qui étaient issus de milieux prolo, auxquels le milieu homosexuel avait généralement apporté un vernis de « bonnes manières ». Le milieu homosexuel éduque beaucoup. Moi aussi j’ai été très « éduquée » par le milieu homosexuel. J’ai appris plein de choses : lire Le Monde tous les jours, boire du thé sans sucre, aller à l’opéra ― où on paradait au foyer avec mon ami Alban―, lire Jean Genet ; c’est très éducatif, ce milieu.

Autour de nous il y avait une ou deux michetonneuses de Marseille, et deux gigolos. Parfois, c’étaient même de jeunes bourgeoises qui michetonnaient. Tout ça était mélangé. C’est comme ça d’ailleurs qu’un jour, je me promenais dans le quartier de l’Opéra, il y avait des putes dans un hall d’hôtel, et puis il y en a une qui m’appelle : « Lola, Lola ! » Je lui dis : « Excuse-moi, je ne vois pas qui tu es. » Elle soulève sa perruque, elle me dit : « Mais je suis Jacques ! » Un copain de mon bled, Aubagne, qui tapinait en travesti. J’avais plein d’aventures comme ça. C’était mêlé, forcément, à Marseille en tout cas. Le milieu de la prostitution ― pas celui, plus ou moins classique, avec des macs ― était mêlé au nôtre. J’étais aussi habituée au travestissement. J’étais par exemple très copine avec un grand balèze qui faisait à l’époque ce qu’on appelait du travelo burlesque sous le nom de Lady Jane. Il s’appelait Jean. C’était ce qu’on appelle aujourd’hui une drag-queen, mais drag-queen juste pour les spectacles ; le reste du temps, il était juste homo et habillé en garçon… Je le rencontrais parfois avec son père et son frangin, un bon macho marseillais… Visiblement, entre eux il n’y avait aucun problème.

Moi j’étais totalement désespérée de ce monde, je ne voyais pas ce que j’allais en faire. Je ne voulais pas aller à la fac, je méprisais les étudiants, je trouvais ça dégueulasse… Et puis on vivait comme si le jour n’existait pas, comme si on allait mourir demain, on restait toute la journée à dormir volets fermés.

G.D. : Tu n’étais pas ce qu’on aurait appelé « politisée ».

Lola : Si. Mais pas dans des groupes. Pas dans des théories ou des idéologies. D’abord parce que j’étais forcément anti-soviétique et anti-stalinienne. Mes parents étaient tous deux des Russes réfugiés, et mon père avait vécu en Union soviétique jusqu’en 1925. J’avais lu Kravchenko, j’avais lu des tas de trucs sur l’URSS, mais aussi des trucs sur la guerre d’Algérie, comme La Question, d’Henri Alleg3.

Mes parents étaient entourés d’anars, ils avaient même été dans un groupe anarchiste. Là, il y a une foule d’anecdotes à raconter, notamment sur une copine lesbienne qui, un jour, vient au camp naturiste et qui faisait partie du groupe anar de Draguignan. Elle raconte qu’elle était apprentie coiffeuse quand elle était plus jeune, et a découvert un jour qu’elle était amoureuse de sa patronne ! Elle ne sait pas ce que c’est, c’est un problème pour elle. Par hasard, à Draguignan, elle tombe sur ce groupe anar, et, dès le lendemain, il n’y a plus de souci, elle vit plus ou moins en communauté avec ces gens. Elle a le droit d’être lesbienne, mais le seul hic c’est qu’il fallait aussi qu’elle couche avec tout le monde, avec les mecs ! C’était une communauté harmoniste, il fallait « tourner » quoi…

Vivre la nuit, ça sert plus à rien !

Lola : Et tout d’un coup, c’est Mai 68, l’espoir arrive. Je me dis : « Vivre la nuit, ça sert plus à rien ! » Tout ce que j’avais refusé, je pouvais le rejeter maintenant de façon plus raisonnée. J’ai même annoncé à mes parents, en avril 1968, que je quittais la fac. En 1967, j’avais déjà lu De la misère en milieu étudiant, puis, début 1968, Debord et Vaneigem. Évidemment, j’avais été plus séduite par Vaneigem que par Debord. J’avais lu des anars… un peu Marx, pas beaucoup, je ne connaissais pas beaucoup Marx, pas encore ses œuvres de jeunesse… pas encore les concepts de soumission formelle / soumission réelle, je n’avais pas compris que c’était ça le spectacle, je n’avais pas fait le rapport entre les deux. J’avais donc repéré tout ça, j’avais écrit pour avoir un numéro de l’Internationale situationniste (IS)… Mais j’étais toute seule, avec ma copine de l’époque, que j’avais convertie à ça. J’étais isolée avec mon IS sous le bras, mes Vaneigem, etc. Je n’étais pas pro-situ, ça n’existait pas, mais enfin j’avais trouvé ma maison politique, si l’on peut dire. Ç’a été vraiment fondateur. Avant, j’avais pourtant lu des tas de trucs ― Émile Armand, Émile Pouget ―, mais ça ne m’avait pas parlé de cette manière-là.

Mais, quant à me définir, je ne pouvais pas dire autre chose qu’anar, à l’époque, mais pas copain avec les gens de la FA, et aussi en plein accord avec les idées des situationnistes.

En mai 1968, dans le comité d’action de mon bled, je m’étais liée très étroitement avec un tout jeune homme, Christian. Moi j’avais 20 ans, lui en avait 15 ; c’était le petit frère d’une copine de lycée. Il était à la JCR, homosexuel et n’avait jamais fréquenté le ghetto. Parce que moi j’ai connu l’époque du ghetto homo… raser les murs et compagnie. Bien que j’aie eu des copains qui étaient flamboyants et des copines flamboyantes qui se proclamaient tout le temps, j’ai connu ça. Lui, il aimait essentiellement baiser avec des hétéros, de toute façon. Et donc on a fait Mai 68 ensemble, mais lui à la JCR, et moi de mon côté, avec tout le milieu marseillais qui commençait à se former. La JCR l’a viré d’ailleurs. Le prétexte, c’était ses « fréquentations anarcho-maoïstes » ― essentiellement moi, mais il n’était pas le seul à me fréquenter ― ; la vraie raison, c’est qu’il était homo. Et donc Christian était homo tout ce qu’il y a de proclamé, et n’avait même pas conscience de la répression là-dessus, lui qui pourtant est fils de maçon, élevé dans un milieu marqué par les staliniens.

Polysexualité

Lola : Toujours à Marseille, on se retrouve dans des trucs de sexe en groupe, mais pas programmé du tout, ce ne sont pas des partouzes. C’est tout le monde avec tout le monde, homos et hétéros mélangés – j’y ai même rencontré un de mes grands amours, qui est arrivé avec un garçon et est reparti avec moi. On a une sexualité de plus en plus débridée et drôle, extrêmement tendre et amicale. Il faut tout de même que je précise que les garçons y étaient bien plus nombreux que les filles. Ce qui est drôle, c’est qu’on ait repris un terme utilisé par les sociologues bordelais : « faire un tas ». Mais, pour eux, il ne s’agissait pas de baiser, seulement de sentir les corps, de se frôler, et, pour ce que j’en sais, l’homosexualité ouverte n’était pas à leur menu.

À Paris, à la rentrée 1970, on s’installe en groupe, à une dizaine, dans un appartement de trois pièces : deux chambres à coucher et une pièce où il était interdit de dormir, réservée aux gens qui passaient la nuit à discuter. On était pour ce qu’on appellera la polysexualité. Nous, on disait pansexualité, mais on n’était pas zoophiles, ni pédophiles, pas plus d’ailleurs que sado ou maso. D’autres appartements se créent, on circule, tout ça se mélange, on a des discussions des nuits entières, on participe à des manifs, toujours en bande, avec l’idée qu’on n’est pas une communauté : car la communauté, c’est la communauté de la misère. Nous étions en groupe pour pouvoir être actifs ensemble. C’était une période d’effervescence d’idées, de discussions, d’actions et de sexe absolument intensive. Et évidemment, là-dedans, nos copains qui étaient homo à la base étaient plus particulièrement impliqués dans le combat pour la fin de la répression de l’homosexualité. Comme on était aussi dans le combat contre l’oppression des femmes.

MLF et FHAR

Lola : Première étape. Début 1971. Une copine nous a invités à une réunion du MLF. On y va, toute la bande, mais les garçons sont obligés de rester au bistrot à côté. Et nous on y va, à trois filles, avec cette copine. On commence par dire :

« Excusez-nous, mais nous, on vit en groupe avec des garçons dont certains sont homosexuels, d’autres le sont moins, etc., notre but c’est pas de nous séparer des garçons pour mener ce combat. 

— On ne remet pas en cause la non-mixité. 

— Ah bon… »

Déjà on commence à tirer la gueule. Là-dessus on se regarde un peu : « Putain, qu’est-ce qu’on est mal habillées, qu’est-ce qu’on a l’air pauvres, les filles. » Effectivement, on avait l’air de souillons par rapport à toutes ces jeunes femmes. Et on entend des énormités comme : « Je suis homosexuelle par choix politique » ; et là, l’une de nous hurle (je crois que c’est moi) : « Et pas par plaisir, imbécile !? »

Là-dessus, on apprend que se crée le FHAR. Évidemment, on se précipite. On débarque avec notre bande de copains et on se jette là-dedans à corps perdu, parce que, ce qui nous plaisait, c’est que ce n’était pas un front de libération homosexuelle, mais un front homosexuel d’action révolutionnaire. On pensait de même pour le MLF : c’est bien que des groupes s’organisent autour de causes spécifiques, à condition qu’ils ne soient pas appelés à perdurer, qu’ils soient appelés à se fondre dans la révolution, d’autant que la révolution allait avoir lieu demain. On trouvait bien que le MLF existe, mais à condition qu’il soit un outil spécifique dans un ensemble plus large, et qu’il soit mixte ; on trouvait bien qu’il y ait le FHAR, mais à condition qu’il soit également mixte.

G.D. : Mixte, c’est-à-dire ouvert aux hétéros aussi ?

Lola : Oui, ouvert à tous. D’ailleurs, le FHAR, au début, prônait la polysexualité. À cette époque-là, on a un appartement, rue Charlemagne, où dorment et habitent périodiquement plein de gens, et le lieu devient une sorte d’annexe du FHAR. C’est là que je rencontre le très jeune homme qui deviendra plus tard Hélène Hazera. Au FHAR, il y a des comités de quartier, on crée celui du Marais. Le Marais était, à l’époque, un quartier populaire où on parlait yiddish à tous les coins de rue, et dont rien ne laissait présager qu’il serait un jour le lieu de la marchandisation de l’homosexualité. La maison devient un foutoir invraisemblable de gens qui discutent, fument du hasch, prennent de la mescaline, qui s’aiment et se mélangent, et on y fait les réunions du comité de quartier, on y prépare des actions… On était tout le temps en train de proclamer notre sexualité libre. Je me souviens, je me promenais à poil sous une soutane avec de grandes bottes : une soutane fait une robe magnifique. Bref, on était dans une provoc tous azimuts permanente. On baisait dans des lieux publics, déjà depuis longtemps.

G.D. : Quelles actions ?

Lola : Du genre, foutre le bordel dans le ghetto…

G.D. : C’est-à-dire ?

Lola : Les boîtes homo, par exemple. Venir devant les boîtes et dire aux mecs : « Sortez de là ! » D’autres actions aussi. Un jour, on apprend qu’il y avait des cassages de gueule de pédés aux Buttes-Chaumont. Une partie de mes copains y vont. Tout à coup, les casseurs de pédés se retrouvent face à une armée de folles hurlantes — parce que même ceux qui n’étaient pas folles en rajoutaient — qui leur ont cassé la gueule proprementiv. Et ça c’est une belle action. Aller casser du casseur de pédés. Aller faire du scandale dans les ghettos.

Le fard avant tout

G.D. : Le FHAR a cette réputation d’AG très confuses, de lieu de drague et de baise.

Lola : Surtout à la fin du FHAR.

G.D. : Donc après votre départ.

Lola : En fait, ça ne se passait pas vraiment dans l’AG, pour ce que j’en ai vu. Parfois, il y en avait qui allaient baiser dans les locaux… autour, aux Beaux-Arts. Dans l’AG… bon, il y avait de la drague, des pratiques… Dans mon souvenir, c’était plus bon enfant qu’autre chose. J’ai pas souvenir qu’un d’entre nous ait baisé dans une AG du FHAR. Mais on pouvait flirter, on pouvait draguer, on pouvait déconner. On pouvait s’amuser, c’était quand même très ludique, les AG du FHAR, faut reconnaître. Avec, en plus, la bande des futures Gazolines, avec Hélène… ils y allaient gaiement. Leur slogan, je crois, c’était « Le fard avant tout », f-a-r-d, enfin tu vois… Hélène était extrêmement intéressée par l’IS, et d’autres aussi.

Petits chefs & Gouines rouges

Lola : Au FHAR, assez vite, nous, on se heurte à ce qu’on a appelé les petits chefs. C’est là qu’on fait cause commune avec ce qui sera plus tard les Gazolines. Des petits chefs dont on se rend compte qu’ils manipulent les réunions, c’est-à-dire qu’un tas de choses sont décidées à l’avance. On commence à gueuler.

G.D. : C’est qui, ces « petits chefs » ?

Lola : Hocquenghem, Alain Fleig… Moi, je ne me souvenais pas pourquoi on n’était pas copain avec Fleig alors qu’on était proche de lui politiquement. J’ai demandé récemment à Hélène Hazera, et elle m’a dit : « Mais il faisait partie des petits chefs ! »

G.D. : Ils avaient une ligne différente, ces « petits chefs » ?

Lola : C’étaient des gauchistes. Hocquenghem arrivait directement de chez les trotskystes. Et puis le FHAR commence à être invité dans des galeries d’art, à des trucs mondains, mais nous, on proteste : c’était retourner dans le ghetto. Mon copain Jacques Desbouit va à un vernissage et il écrit sur les tableaux exposés : « Les pédés sont des vandales. » On commence à faire du scandale, on se lie avec des gens, des garçons surtout, parce qu’il n’y avait pas tant de filles que ça.

G.D. : À ce moment-là, il y a déjà beaucoup de femmes qui sont parties ?

Lola : Au début, il y a plein de femmes.

G.D. : Mais au moment dont tu parles ?

Lola : Il y en avait encore, mais elles commençaient déjà à s’en aller. Je me retrouve d’ailleurs, à un moment donné, dans une relation amoureuse avec une fille qui m’emmène aux Gouines rouges. La catastrophe… Une caricature. T’avais vraiment les mecs et les filles. Les nanas viriles et les nanas très féminines. Et tu sentais bien que les plus viriles dominaient l’affaire. Je trouvais ça un peu curieux ce truc séparé. On discute… Tout d’un coup, il y a un incident : Il y avait eu une réunion d’un groupe du FHAR juste avant, dans la même salle. Arrive un garçon du FHAR que je connaissais, une folle d’une manière invraisemblable. Il dit :

« Les filles, j’ai oublié mon manteau dans la salle. Je peux venir le récupérer ? 

– Ahhhh ! un homme ! dehors ! Dehors ! »

Là, j’ai dit : « Vous rigolez ?! C’est lui que vous traitez d’homme ? Excusez-moi mais, parmi nous, là, il y en a qui sont plus garçon que lui. En plus, il a un manteau à récupérer. C’est quoi ces conneries ? » Je me suis levée, j’ai pris le manteau, je suis sortie avec ma copine, et on a été suivies par plusieurs filles. On est allées boire un coup avec le copain en question.

G.D. : Ceux que tu appelles les chefs, Hocquenghem… Est-ce que ça répondait à un besoin de se faire reconnaître, de se faire accepter, un désir de respectabilité ?

Lola : Non. Les artistes, Hocquenghem n’en était pas responsable, mais il avait accepté. Le problème c’étaient leurs habitudes bureaucratiques : ils appliquaient le comportement bureaucratique qu’ils avaient déjà chez les trotskards ou chez les maos. Au FHAR, il y avait toute une mouvance crypto-maoïste ou crypto-trotskyste. Ça se manifestait dans leurs pratiques. Laurent Dispot, par exemple, il ne proclamait pas son maoïsme5. Un jour, on a une discussion, tous les deux, dans un bistrot, il parlait d’organiser les homosexuels, et il a fini par me dire : « Fondamentalement, moi, je suis maoïste, je suis toujours maoïste. »

Et c’était ça. C’était une manière de fonctionner extrêmement léniniste finalement, centralisatrice, directive. Quand tu as une salle, tu dois la manipuler. C’est vraiment les réflexes bureaucratiques hérités de leur passé gauchiste et léniniste. Et puis il y en avait certains qui voulaient seulement dominer, et il y avait ceux qui n’y arrivaient pas. Hocquenghem avait, lui, un charisme phénoménal, il était extrêmement brillant.

Mais, en même temps, le FHAR était un grand lieu de rencontre, d’expériences et de pratiques partagées, c’est vrai que c’était une libération terrible.

Explosons les codes sexuels

Lola : Et puis se passe une seconde fracture, plus théorique. Il commençait à y avoir un discours affirmant que l’homosexualité était forcément révolutionnaire, comme par essence, et que la bisexualité était forcément récupérée. Hocquenghem notamment développait cette idée. Le discours de la polysexualité disparaissait on ne sait où. Or nous étions sur une position inverse, qui était : Explosons les codes sexuels. Nous, on expliquait que ce qui nous intéressait n’était surtout pas d’être dans une catégorie d’orientation sexuelle… et, puis, il n’y a pas de pédés nazis peut-être ?! Ça nous paraissait une aberration théorique. Alors on commence à s’engueuler de plus en plus. On fait du scandale, on est rejoints par d’autres, etc., et on finit par sortir du FHAR avec un tract où on invite les gens à nous retrouver en dehors de ce qui devenait un ghetto6. Et notre appartement collectif devient un lieu de rencontre et un centre de discussion extra-FHAR, extra-organisation, extrêmement actif.

G.D. : Le tract Et voilà pourquoi votre fille est muette est signé par Jacques Dansette, Patrick Deregnaucourt, Jacques Desbouit, Karen Gautrat, Philippe Pellen, Jean Schwartz, Roland Simon, et toi. Signer ce tract, c’était s’engager. 

Lola : Comme au FHAR, les gens signaient tous « Un du FHAR » ou quelque chose comme ça, on avait décidé de mettre nos noms et prénoms.

G.D. : Tous les signataires n’étaient pas homo, ni bisexuels, pas plus d’ailleurs que dans le FHAR : il y avait des hétéros. Une petite minorité.

Lola : Pour nous, personne n’était « hétéro » par définition, même si Philippe et Roland, par exemple, n’avaient pas de rapports sexuels avec des hommes.

G.D. : Comment votre tract a-t-il été reçu ?

Lola : Je ne sais pas quel écho il a eu au FHAR puisqu’on est partis après l’avoir diffusé, mais des gens nous ont rejoints, parce qu’on proposait justement de se retrouver en dehors du « ghetto FHAR ». Après notre départ, les gens connaissaient notre comité de quartier, et beaucoup ont commencé à venir régulièrement rue Charlemagne.

G.D. : Le tract n’est pas daté.

Lola : Il est de 1971, je ne me souviens plus si c’est avant l’été ou pas.

G.D. : Donc vous êtes restés peu de temps au FHAR.

Lola : Quelques mois. On a foutu un bordel monstre. De toute façon, après, le FHAR s’est dissous très vite.

Lutte de classes  

G.D. : Vous partez, des gens vous rejoignent. Qu’est-ce que vous faites ?

Lola : Il faut dire une chose : on vivait, depuis Mai 68, dans une agit-prop permanente. On était constamment en action, on faisait beaucoup de choses dans la rue. Pas de manière organisée, en général. On se trimbalait comme une espèce de bande noire, on volait, on se mêlait de tout, on provoquait quand ça nous prenait, comme beaucoup de gens à Paris à l’époque. On passait notre temps à mettre le bordel partout, à intervenir ; parfois on nous appelait, on se retrouvait dans une manif, sur une grève ou une action. Il n’y avait pas de séparation entre la vie et ce qu’on pourrait appeler notre action politique, mais on était quand même très axés sur la vie quotidienne.

G.D. : Pour employer un grand mot : et la lutte de classes ?

Lola : Pour nous, ça faisait partie du truc. Quand des copains se trouvaient à travailler, on se retrouvait mêlés à ce qui pouvait se passer dans leurs boîtes. Moi, je faisais des enquêtes. On s’était agrégés à une espèce de regroupement informel des enquêteurs vacataires, qu’on appellerait aujourd’hui une coordination, qui se réunissait une fois par mois. Ce regroupement s’occupait de faire pour les enquêteurs, qui étaient tous des travailleurs intermittents, ce que font aujourd’hui les CAFards, c’est-à-dire pondre des papiers sur comment s’inscrire à la Sécu, comment s’inscrire au chômage… 7 Et aussi signaler les boîtes qui nous traitaient mal, leurs façons d’essayer de nous entuber et comment y résister.

On faisait aussi des interventions. On allait envahir des boîtes d’enquêtes comme ESOP et Makrotest par exemple, c’est celles dont je me souviens. C’est très drôle, d’ailleurs, on nous accordait une puissance phénoménale. Une fois, le jour de l’intervention sur Makrotest, qui était à Puteaux, des copains qui étaient en train de bosser à l’IFOP entendent : Les enquêteurs vont marcher sur l’IFOP ! Alors que l’IFOP était vachement loin de Puteaux, rue d’Aumale dans le IX! On faisait peur aux patrons. On agissait là où on bossait. On n’allait pas faire les gauchistes en intervenant partout, sauf si on nous appelait. Un copain bossait quelque part, on pouvait venir lui filer un coup de main. Là où on travaillait, forcément on se battait, dès qu’il y avait la moindre occasion. C’était ça notre lutte des classes. On était quand même dans les années post-68 : la contestation était permanente. Ce qui fait que, sur le front du travail, puisqu’il fallait quand même de temps en temps qu’on travaille, même si on était anti-travail, on était très actifs.

On volait aussi beaucoup dans les magasins, on a fait des opérations « caisses ouvertes ». Souvent, c’était très spontané. On décidait une action : « On y va ! » On était tout le temps sur la brèche, puisque notre idée c’était qu’on est en groupe pour être actif. On a aidé à des avortements aussi, et à la mise à l’abri de très jeunes, l’un évadé de la DDASS, l’autre d’un séminaire ; on a accueilli toutes sortes de camarades en errance. La vie quotidienne était très importante.

L’été 1971, ç’a été un « Summer of Love » incroyable8. Tout le monde débarquait, ça discutait, ça baisait et ça se droguait beaucoup. Les Gazolines ont commencé à se former ; l’année d’après, on a défilé ensemble à l’enterrement de Pierre Overney, avec les Gazolines habillées en veuves joyeuses9.

G.D. : L’enterrement d’Overney, c’est 1972. Le FHAR commençant vers le début 1971, et vous partez…

Lola : …au bout de cinq-six mois…

G.D. : …tout ça se passe sur…

Lola : …un mouchoir de poche.

G.D. : Un an, au grand maximum.

Lola : Un mouchoir de poche. Notre vie communautaire et tout, c’est un mouchoir de poche.

René Lefeuvre

Lola : L’été 1970, j’avais rencontré, à Bordeaux, Christian Marchadier, qui s’appellera Arthur plus tard10. On l’a retrouvé à Paris, et il nous a emmenés chez René Lefeuvre, pour qui je l’ai aidé à traduire Fascisme brun, Fascisme rouge11.

On a commencé à fréquenter la maison de René Lefeuvre, où je n’étais pas dépaysée : y avait autant de bordel que chez mes parents, avec encore plus de livres, et René aimait les garçons. On a beaucoup discuté sexualité avec René. Il allait à Arcadie12. Moi, je connaissais Arcadie par mes parents, j’avais déjà vu leur revue, et, pour nous, c’était la réaction. Là s’est passé un épisode dont j’ai eu honte après. Je lui dis : « Mais enfin René, c’est au FHAR que tu aurais dû être. Qu’est-ce que tu vas foutre à Arcadie ! » Et là, en pleurant, il me répond : « Mais c’est la première fois de ma vie que je peux danser avec un garçon… tu ne te rends pas compte de ce que c’est. »

On est restés très amis avec René. On a cessé de le fréquenter assidûment quand s’est formé le groupe Spartacus. Nous, on est allés à une ou deux réunions, mais des trucs ne me convenaient pas, on était trop dans la mouvance de l’IS pour arriver à se fondre là-dedans. Je n’ai écrit qu’un article dans Spartacus, sur le bouquin de mon père13. On est restés amis longtemps avec René, très proches. On parlait de sa vie couramment. Il avait en face de lui quelqu’un ― et, dans le milieu où il était, ce n’était pas si courant ― qui était plus qu’au parfum de ce que c’est qu’être homosexuel honteux, caché, etc. La seule personne qui a libéré René, c’est Daniel Guérin. Jusque-là, il ne disait rien, il se cachait, René. C’était terrible quand il était tout jeune, maçon en Bretagne, et c’est au régiment qu’il a découvert qu’il aimait les garçons. Tu imagines à quel point c’était compliqué pour lui.

Reich, Rühle, Korsch, Marx

G.D. : Quelle a été votre réaction quand est sorti Le Fléau social, en 197214 ?

Lola : Nous, on était déjà barrés, avec Arthur, qui était germaniste, sur les éditions pirates de Reich et la découverte que je faisais de l’ultragauche. On a lu le Marx de Rühle, et ç’a été un choc invraisemblable. Et puis on avait d’autres copains, on voyageait. En Italie, on connaissait les comontistes15

G.D. : C’est quand même curieux… Moi j’ai rencontré Fleig en 1973-1974, on s’est beaucoup vus, on a discuté, j’ai participé au Fléau social… À sa façon, il fait, vers 1973, ce que vous aviez fait, vous, sauf qu’il ne l’a pas fait avant parce qu’il était un peu, je te cite, « petit chef ». Lui aussi découvrait l’ultragauche, et ça a dû vous intéresser.

Lola : On a trouvé ça pas mal, mais on était dans une autre histoire. Y compris avec nos copains homo, on n’était plus dans ces trucs-là. On s’intéressait donc beaucoup à Reich. Ça commence avec Arthur, qui me fait rencontrer Michel Jacob, qui, lui, était branché avec Constantin Sinelnikoff, éditeur pirate des œuvres de Reich de sa période allemande, quand Reich était encore marxiste. Sinelnikoff publie Reich16. On est suivis par les flics ― pour un truc pareil, on n’en revenait pas… Ces œuvres de Reich, Rühle, Korsch… tout ça, on découvre quand ça commence à sortir. Et le jeune Marx, que je connaissais très mal, les Manuscrits de 1844… On plonge là-dedans.

G.D. : Et le milieu dont tu fais partie, il y plonge aussi ?

Lola : Ce milieu avait un peu muté. Il y a des copains qu’on a perdus, d’autres qu’on a trouvés. L’appart commence à partir en déliquescence, les gens ne viennent plus. C’est d’autres copains, toujours de tous les genres, qui viennent chez nous. On perd une bonne partie de cette mouvance qu’on avait rencontrée autour du FHAR. Si on se croise, on est contents de se voir, mais pas de liens.

On devenait plus théoriques, et moins agit-prop parce qu’il n’y avait plus autant d’occasions de se retrouver dans des trucs d’action, même si cela arrivait encore. Par exemple, quand mon compagnon a travaillé chez Larousse, où il y a eu un plan social, il a fait un tract, qu’on a distribué. On allait dans des actions et des trucs comme ça, des manifs, et on en prenait l’initiative nous-mêmes si on avait l’occasion. Mais on était davantage dans des lectures… et dans la bringue.

Régression identitaire

G.D. : Maintenant, quel regard tu portes sur ce qui s’est passé depuis ? Le mouvement homosexuel, aujourd’hui les LGBT, tout ça ?

Lola : On a vu monter une crispation identitaire. Déjà, « l’homosexuel est révolutionnaire », c’était une catégorie identitaire. On ne savait pas que ça allait devenir une crispation identitaire générale. Les LGBT, ça commence et ça finit par la séparation : ils séparent la lutte de classes et ce front que j’appellerais plutôt vie quotidienne, la libération de la vie. Petit à petit, on a vu un abandon de la lutte de classes. Moi, ça ne m’intéressait plus. Ni moi ni mes copains. À partir du moment où ça devenait une lutte catégorielle, que ce soit les femmes, que ce soit les homos ou je ne sais quoi d’autre, maintenant la race, et bien ce n’était plus possible.

Hélène Hazera intervient régulièrement sur Facebook en disant : « Il y a des luttes en priorité. Le sort des immigrés est plus intéressant que nos histoires de binaire et non binaire, par exemple. » Elle est toujours sur des positions de classe, bien que très investie dans la lutte pour les droits des trans. Je suis bien d’accord pour maintenir ces fronts de lutte, mais pas de manière séparée. Pour moi, c’est un retour au ghetto.

G.D. : C’est Hélène qui avait dit : « Les queers sont les maoïstes du genre17. »

Lola : Elle, elle a vu que c’étaient des gauchistes. Elle a toujours eu des positions… très fidèles à l’IS.

G.D. : Et le queer, qu’est-ce que tu en penses ?

Lola : Comment dire ? Le concept même… je pense que tout le monde est queer, quelque part.

G.D. : Pourquoi ?

Lola : Mais parce que je pense qu’on est tous yang et yin, homme et femme.

G.D. : La polysexualité.

Lola : Oui, je suis toujours là-dessus. Après, quand on assassine des trans, je suis d’accord pour manifester. Comme quand Kara, cette trans arrêtée pendant le mouvement contre la loi « travaille », détenue au printemps 2016 dans une prison pour hommes, est restée en plus sans hormones pendant je ne sais combien de temps… Je suis toujours concernée par la répression de ce genre de chose, mais le combat séparé, les crispations identitaires ne m’intéressent pas. Et puis on n’a jamais lutté sur la question du droit.

G.D. : Explique.

Lola : À la fois, bien sûr, j’étais contente qu’on autorise l’avortement et qu’on décriminalise l’homosexualité. Mais la lutte pour les droits n’est qu’une petite étape d’une lutte plus générale pour la libération de toutes les sexualités. Je n’ai jamais partagé l’idée que c’était là-dessus qu’il fallait se battre en priorité. Faut pas se tromper d’ennemi. Ça fait partie du combat général pour l’émancipation de l’humanité, la fin de l’exploitation. S’émanciper du travail, c’est aussi s’émanciper de la division du travail, c’est aussi du coup s’émanciper de la division sexuelle. C’est un truc plus général.

G.D. : Et finalement les droits sont garantis par l’État.

Lola : Bien sûr. Et nous, on ne demande rien à l’État ! Et donc, on n’a jamais été se battre pour des droits. La Marche des fiertés homosexuelles, la Gay Pride… D’un côté, l’affirmation de ces choses-là est forcément intéressante, mais, pour moi, une Gay Pride qui ne réunit que des gays, ou, au mieux, des gays et leurs amis… je n’ai jamais participé à ça. En plus, leur musique est à chier !

G.D. : C’est un point de vue.

Lola : Les gays et leurs amis, comme ils disent. Ils ont beau être d’accord pour que ce soit ouvert, ça reste dans la séparation de ce combat-là. Si on ne crie pas « À bas la division sexuelle ! », « À bas la société du travail ! », pour moi ça n’a pas de sens, pas le sens que moi je souhaite.

G.D. : Tu demandes beaucoup, là.

Lola : Je demande beaucoup, oui, mais… Un front LGBT contre le capitalisme, à la limite, je peux le comprendre. Un front pour la libération des LGBT ne m’intéresse pas. Comme j’ai dit au début, le front homosexuel d’action révolutionnaire, ça me va bien, mais le front de libération des homosexuels ne m’intéresse pas. J’ai toujours eu cette position-là ― moi et d’autres. Mes copains homo n’étaient pas définis comme des homos, mais comme des combattants parmi nous, qui se trouvaient, en plus, avoir une répression à combattre, personnellement un peu plus rude, mais qu’on entendait combattre ensemble comme on combattait aussi ma répression en tant que femme, ou ma répression en tant que travailleuse. Tout ça, pour moi, c’est un ensemble. Et j’ai bien retenu la leçon de l’IS, je suis contre la séparation, et donc je continue à avoir ce regard-là. Ça ne veut pas dire que je regarde ça avec antipathie, je comprends, mais ça m’a toujours semblé être quelque chose de contre-révolutionnaire, en fait.

G.D. : Je dirais non révolutionnaire.

Lola : Non révolutionnaire, d’accord. Mais ça peut être contre-révolutionnaire, quand tu te retrouves finalement dans des revendications démocratiques vis-à-vis de l’État. Même si tu le fais pour de bonnes raisons. La lutte pour les papiers pour les trans, je comprends bien, et je suis d’accord que, si on doit se battre pour que ces gens aient des papiers qui correspondent à leur apparence physique et à ce qu’ils sont réellement, c’est important de le faire ; mais je suis contre les papiers. C’est comme dans les manifs pour les sans-papiers : « Des papiers pour tous » Nous on criait : « Plus de papiers pour personne ! », « Mort aux papiers ! » Ça a une logique.

Minoritaire, mais…

G.D. : Je suis tout à fait d’accord, mais ça amène à rester extrêmement minoritaire.

Lola : Bien sûr. On l’a toujours été. Mais il y a des moments dans l’histoire… et même pour les immigrés. Je me souviens de la manifestation après Saint-Bernard18… On s’est retrouvés à aller jusqu’à Vincennes en manif sauvage. Eh bien, dans la manif, quand on a commencé à crier « Pas de papiers pour personne ! », on a été repris par plein de gens, et par des immigrés qui trouvaient ça logique ce qu’on disait : Fin des frontières, fin des papiers, etc. Tout le monde entend cet argument-là. Ce n’est pas parce qu’on est minoritaire qu’on ne doit pas dire ce qu’on a du mal à exprimer. Et on peut être tout à fait rejoint, et on l’a été, dans les moments où il se passe quelque chose.

Septembre 2017.

1 Entretien revu par Lola Miesseroff en septembre 2017. Les notes sont de DDT21.

2 Sur le père de Lola: Oxent Miesseroff (1907-1992), Au maquis de Barrême : souvenirs en vrac, Ed. Égrégores, 2006.

3 Deux livres « formateurs », quoique très différents et même venus d’horizons opposés. J’ai choisi la liberté, de Viktor Kravchenko (1905-1966), Russe transfuge, est une dure critique de l’URSS : en pleine guerre froide, la traduction française, en 1949, donne lieu à des polémiques et à un procès retentissant, le PC accusant Kravchenko d’être un menteur payé par les Américains. La Question (1958), d’Henri Alleg (1921-2013), anticolonialiste et aussi longtemps cadre du PCF et stalinien, dénonçait la torture en Algérie, qu’il avait lui-même subie.

4 Épisode décrit par Lola dans Un Paris révolutionnaire, L’Esprit frappeur/Dagorno, 2001, p. 335.

5 Ancien de la Gauche prolétarienne, cofondateur du FHAR, plus tard journaliste et écrivain.

6 Et voici pourquoi votre fille est muette : https://blastemeor.noblogs.org/divers/

7 Les CAFards sont un collectif de défense des chômeurs et « allocataires sociaux » :

https://cafard93.wordpress.com/2009/06/25/le-journal-des-cafards/

8 Par référence au Summer of Love étasunien, en particulier californien, de 1967, mais dominé, lui, par le phénomène hippy.

9 L’assassinat de Pierre Overney, militant maoïste, par un vigile à Renault-Billancourt, est l’occasion, en 1972, d’un enterrement politique auquel participent près de 200 000 personnes. Il va sans dire que les gauchistes furent choqués par le comportement des Gazolines.

10 Christian Marchadier, dit Arthur, « ex-vandaliste de Bordeaux en 1968 » (Debord), correcteur, écrivain, traducteur, éditeur, est décédé en 2014, à Marseille. http://lexomaniaque.blogspot.fr/2014/10/arthur-est-mort.html

11 Texte publié par Otto Rühle en 1939 et édité en 1975 par les éditions Spartacus, animées par René Lefeuvre.

12 Au temps où l’homosexualité était honteuse et réprimée, l’association Arcadie (1954-1982) voulait briser la solitude des homosexuels, tout en exigeant d’eux discrétion et respectabilité. Le contraire de la visibilité pratiquée et revendiquée plus tard par les gays.

13 Spartacus est aussi une revue qui connut quinze numéros, de 1975 à 1979. L’article de Lola a paru dans le numéro 12, en décembre 1978. http://archivesautonomies.org/IMG/pdf/spartacus/spartacus/2eserie/spartacus-s2-n12.pdf

15 Groupe influencé par les situationnistes et le communisme de conseil. Son nom, Comontismo, est la traduction italienne de la Gemeiwesen marxienne. Groupe éphémère, il produisit des tracts, des brochures et des livres en 1972-1973. Notamment proche de la revue Invariance, qui publia la première traduction d’Apocalypse & Révolution, de Giorgio Cesarano et Gianni Collu : http://revueinvariance.pagesperso-orange.fr/apocalypse.html

16 Après la mort de Reich, dans une prison américaine, en 1957, le Wilhelm Reich Trust, qui gérait les droits de ses œuvres, veillait à ce que n’en soient publiées que les titres et les versions en anglais. En effet, les versions originelles, en allemand, de ses ouvrages majeurs avaient été expurgées par Reich lui-même de toute dimension de critique sociale parce qu’il avait, après son arrivée aux États-Unis en 1939, abandonné le marxisme et la psychanalyse pour se tourner vers la biothérapie. C’est donc illégalement que Constantin Sinelnikoff, aidé de quelques amis, publiait des textes de Reich traduits de l’allemand. Voir C. Sinelnikoff, L’œuvre de Wilhelm Reich, 1970 (réédité en 2002 aux Nuits rouges). Lola évoque notamment ici la traduction de Die Funktion des Orgasmus, paru à Vienne en 1927, édité de manière pirate en 1975 par les Éditions du Nouveau Monde (sises 17, impasse Lénine à Montreuil).

17 « Les queers sont les maoïstes du genre », entretien avec Hélène Hazera, 2010.

https://blogs.radiocanut.org/onestpasdescadeaux/2012/02/17/%C2%AB-les-queers-sont-les-maoistes-du-genre-%C2%BB/

18 En 1996, l’expulsion violente par les CRS de plusieurs centaines de sans-papiers occupant l’église Saint-Bernard, à Paris, déclenche protestations et manifestations.

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