Échec de l’écologie politique
S’ils s’opposent à bien des égards, écologistes de gouvernement, écologistes des petits pas, écosocialistes et écologistes radicaux ont un point commun. Qu’ils ambitionnent un poste ministériel, fondent une Amap, écrivent le programme d’une future « vraie gauche » ou tentent de faire de l’écologie un levier de bouleversement social, tous mettent la « question écologique » au centre du monde actuel, comme si elle obligeait aujourd’hui à redéfinir ce qu’est le capitalisme, et ce que serait sa nécessaire et possible transformation. Tous également se veulent réalistes et se vantent d’agir sans se payer de mots.
Mais quel est donc le bilan des actions qu’ils mènent depuis maintenant plusieurs décennies ?
1 / LE LIBÉRALISME À VÉLO
Dès les années 1960, aux États-Unis, progressait un écologisme composite, encouragé par le best-seller de Rachel Carson, Printemps silencieux (1962), dénonçant les pesticides tueurs d’oiseaux. En 1970 eut lieu le premier « Jour de la Terre », davantage célébration officielle qu’action militante. Au nom de la défense des consommateurs, Ralph Nader sera ensuite quatre fois candidat à la présidence.
En France, premier compétiteur écologiste à l’élection présidentielle en 1974, René Dumont insistait surtout sur l’incapacité du système capitaliste à supprimer la famine, la surproduction et la surconsommation d’énergie. Selon lui, la division sociale n’opposait pas bourgeois et prolétaires, mais consommateurs des pays riches et masses déshéritées du tiers-monde, dans lesquelles s’incarnaient les véritables prolétaires modernes.
Au XXIe siècle, Dumont jouit de l’image de pionnier d’une bonne cause : l’écologie va de soi, et s’accommode des positions les plus opposées. En son nom, on peut tenir des discours à la fois très radicaux et consensuels, de gauche à droite (voire à l’extrême droite « réactionnaire », qui se proclame antibourgeoise et prône le retour à une nature authentique non marchandisée), et de l’anarchisme le plus révolutionnaire au plus modéré (Bookchin).
Pour l’opinion publique, les médias et la classe politique, l’écologie devient un composant indispensable de tout discours sur le monde (mais non unanime : Trump n’était pas l’unique chef d’État climatosceptique). Et pour une part — très minoritaire — qui se veut critique de la société, elle complète un anticapitalisme superficiel : on est écologiste comme on est « contre la finance ».
Les plus éminentes organisations écologistes avaient rallié les libéraux Bill Clinton et Al Gore, artisans d’un commerce mondial responsable de l’augmentation des émissions de carbone. L’OMC, l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), et le capital mondialisateur ont reçu le soutien du « Big Green », c’est-à-dire celui des ONG écologistes, financé par de grandes entreprises et fonctionnant sur leur modèle : argent placé, marketing, recrutement de gestionnaires à haut salaire… Les Verts allemands offrent quant à eux aux écolos français un modèle à suivre : outre-Rhin, l’«écoréformisme » accompagne la gestion social-libérale du capitalisme dans des alliances allant du centre droit au centre gauche. Chauffage géothermique, recours aux procédés et matériaux peu polluants, progression des renouvelables et extension des pistes cyclables font accepter par les élus Verts la restriction des allocations chômage, l’atteinte aux retraites, la contraction des dépenses sociales…
2 / ÉLOGE DE LA MODÉRATION
Affronter le global paraissant impossible, agissons localement, nous répètent les adeptes du small is possible. Pour eux, l’espèce humaine en a trop fait, désormais soyons sages, à petite échelle, voire individuellement : puisque chacun d’entre nous est supposé responsable du réchauffement climatique, un calculateur en ligne permet en permanence de mesurer les émissions de gaz à effet de serre qu’entraînent nos faits et gestes quotidiens.
Comme si la production dépendait de la consommation ! Le chiffre de 130 millions de smartphones vendus chaque mois a de quoi impressionner. Mais, en France, dans les vingt années qui précèdent 1900, on était passé de 50 000 bicyclettes à près d’un million, et pendant les « Trente Glorieuses » de 10 à 30 millions de voitures. Depuis la fin du XIXe siècle se succèdent des objets dont l’achat n’est imposé ni par la force ni par la publicité : leur usage remplit un besoin créé par le mode de vie apporté par l’évolution capitaliste de l’époque, et rendu possible par les conditions de production du moment. Voiture et écran ne permettent pas seulement liberté et vitesse, ce sont aussi des moyens d’individualisation et de socialisation. La raréfaction des terres (déjà) « rares » aura un effet sur l’omniprésence actuelle des écrans tactiles, mais il est illusoire de croire que la crise environnementale entraînera une prise de conscience qui, ensuite, transformera les comportements, comme si un choc suffisait à guérir le malade.
Les mouvements sociaux des années 1960 et 1970 favorisaient la théorisation d’un dépassement du capitalisme, sous des formes confuses et multiples, mais généralement avec un point commun : l’arrivée au pouvoir des travailleurs était perçue comme la solution. L’épuisement des luttes de cette époque a rendu un tel objectif à peine concevable pour les générations suivantes, faute d’outils mentaux pour penser un monde sans salariat ni argent. À la rigueur, l’abolition de l’État reste dans la tête des plus radicaux. Cependant, pour beaucoup d’auteurs et de militants, en finir avec le capitalisme se réduit à mettre à bas la domination de l’oligarchie et des banques, afin de vivre mieux avec davantage de démocratie et d’égalité dans tous les domaines. (On pourrait dire que ce n’est pas grave, puisque les prolétaires qui feront une révolution lisent peu de livres et ne militent pas, mais l’imaginaire social joue quand même un rôle dans l’histoire.) Alors, à défaut de détruire le capitalisme, on cherche à en sortir, en croyant renouer – très partiellement – avec l’âge préindustriel, en enlevant ce que l’hypermachinisme a de visiblement mauvais (la raffinerie polluante) tout en gardant ce qu’il aurait de bon (l’informatique). Grâce à l’imprimante 3D, adieu les métallos. Avec le Web, plus besoin de voiture. Contre le monopole, la petite propriété. Contre l’agro-industrie, le producteur local. La bière artisanale plutôt que Skøll. L’atelier collaboratif contre la gigafactory (local is beautiful).
Comment croire sérieusement que l’avenir du monde tienne à une multiplication de gestes individuels ? Comme s’il dépendait de chacun de nous, en tant que consommateur, d’opter pour la « sobriété heureuse », alors que nos choix interviennent en aval et non en amont de productions qui dépendent essentiellement des mouvements de capitaux. On estime ainsi – un exemple parmi d’autres – que 70 % des gaz à effet de serre émis entre 1988 et 2015 ne l’ont été que par cent multinationales.
L’utopie n’est plus ce qu’elle a été. Les coopératives de production et de vie des années 1840 espéraient vaincre de l’intérieur la société industrielle naissante, celles de la Belle Époque étaient fréquemment liées à un mouvement ouvrier vigoureux et antibourgeois. Près de deux siècles plus tard, les très rentables chaînes de distribution bio et les modestes Amap coexistent presque paisiblement avec le géant Carrefour : il ne s’agit plus que de vivre le moins mal possible là où le capitalisme l’autorise.
3 / ÉCOSOCIALISME
Un large éventail de penseurs et de groupes voudrait que l’écologie contribue à la recomposition d’une gauche politique, c’est-à-dire revitalise ou rajeunisse partis et syndicats, parfois même en prenant des accents marxistes, au sens d’une analyse de la société moderne comme capitaliste et divisée en classes, bien qu’il y soit davantage question d’opposition que de contradiction.
Ce courant reproche aux écologistes de gouvernement comme aux tenants des « petits pas » leur manque de cohérence : puisque, dit-il, les capitalistes et les riches sont responsables de la crise climatique, c’est à eux qu’il faut s’en prendre. « Le problème, c’est le capital » : mais, pour les écosocialistes, « capital » est synonyme des grands lobbys industriels et financiers. Sauver la planète implique donc de les mater pour mettre fin aux entreprises polluantes, d’imposer l’arrêt (ou une forte diminution) de l’extraction fossile, de mettre un terme à l’expansion de l’agrobusiness et des hypermarchés, de ranimer les services publics (particulièrement les transports), d’instaurer une fiscalité à la fois « juste » et écologique, éventuellement d’imposer un rationnement écologique en limitant par exemple les voyages en avion, tout cela nécessitant de « redonner la parole et la décision au peuple ».
À la différence du « vieux » mouvement ouvrier, l’écosocialisme souhaite une coordination de forces allant très au-delà du travail organisé : dans les pays dits riches, les femmes, les minorités sexuelles et « raciales », une jeunesse mobilisable « pour le climat » ; et, dans ce qu’on appelait le tiers-monde, les peuples indigènes, les organisations paysannes… La réunion de toutes les catégories opprimées créerait un rapport de force capable de faire advenir un pouvoir politique qui, parce que désormais réellement, et non plus formellement, démocratique, promouvrait un secteur public au service des travailleurs et des usagers.
L’ancien programme socialiste promettait de dépasser « l’anarchie de la production » par un capitalisme socialisé et planifié. Au XXIe siècle, cette économie maîtrisée et remise au service de tous ne le serait plus seulement d’en haut (par l’État et le Parlement), mais aussi par la conjonction des élus du peuple et de collectifs citoyens (sous forme d’adjectif, « citoyen » remplace volontiers « populaire », un peu suranné aujourd’hui). Au vieux slogan trop jacobin des « nationalisations », on préfère la « socialisation » de l’énergie et du crédit. Dans une « démocratie carbone », les éoliennes compléteront (ou – version plus extrême – remplaceront) des centrales EDF dorénavant sous contrôle citoyen, la démocratie faisant ainsi désormais elle-même partie des « renouvelables ».
La social-démocratie est morte ou très malade d’avoir renoncé à défendre le travail (« les petites gens », les pauvres, ceux « d’en bas »), et accepté tout ou (grande) partie du programme ouvertement bourgeois. La contradiction de l’écosocialisme est de vouloir dépasser cette faillite (qui, du point de vue de la classe dominante et de ses porte-parole, est un succès) en promettant des transformations écologiques profondes encore plus inaccessibles que les réformes, pourtant modestes, que les diverses « gauches de gauche » échouent à imposer depuis vingt ou trente ans.
4 / ÉCOLOGIE MILITANTE
Une frange écologiste estime qu’il est déjà trop tard pour un « développement durable ». Face à l’inaction des gouvernants et à la désuétude des partis, il faudrait se mobiliser à la base, en s’appuyant sur la vision d’un capitalisme assimilé à une machine emballée au moteur en surchauffe, de moins en moins performant, de plus en plus néfaste, mais aussi (heureusement) de plus en plus vulnérable, donc susceptible de céder sous la poussée de masses définies de façon extensive. D’où un pragmatisme revendiqué, avec priorité à l’action, de préférence dans la rue, accompagnée de gestes symboliques, parfois spectaculaires, voire illégaux.
Les animateurs des « marches pour le climat » croient ces défilés nécessaires, les savent insuffisants, et y voient d’abord un moyen de mobiliser, de renforcer la pression. Pratiques individuelles et collectives sont censées se combiner pour peser sur la société : « l’arme du porte-monnaie » (acheter bio) n’exclut ni le recours aux urnes (voter vert), ni la création de « bases » (ZAD) où s’ébaucherait une vie sociale et politique alternative, aujourd’hui simple moyen de défense, demain instrument d’une offensive anticapitaliste.
Ce qui cimente ces pratiques, c’est l’illusion d’une force mobilisatrice et unificatrice de la catastrophe – survenue ou imminente. Contrairement à l’exploitation capitaliste, à une guerre même mondiale ou à une grave crise économique, c’est aujourd’hui la totalité de l’espèce humaine qui est concernée, et non une ou plusieurs de ses composantes (ouvriers, paysans, colonisés, peuples autochtones, femmes…). L’humanité serait donc quasiment obligée de devenir « le sujet » de son histoire. La crise écologique aurait cet avantage d’enfin réunir toutes les catégories dominées en un « mouvement des mouvements » (comme dans « l’assemblée des assemblées », redoubler le mot semble garantir à la fois force et diversité). Il ne resterait donc plus qu’à en faire prendre conscience l’ensemble des habitants de la planète.
Dans la réalité, les actions directes contre les projets fossiles-extractivistes s’additionnent sans converger, et la Blockadia chère à Naomi Klein ne suscite pas de coordination internationale. Les résistances tissent des solidarités, créent parfois des zones provisoirement autonomes, et généralement successives : une fois la victoire acquise ou la défaite reconnue, les zadistes se déplacent vers une autre ZAD et, s’il le faut, la suscitent là où s’annonce quelque grand projet inutile et bétonnant. Hélas ! rassembler des luttes spécifiques, c’est mettre en concurrence les militants de chacune de ces luttes sur un même lieu, dès lors terrain privilégié de rivalités internes, quitte parfois à en oublier l’objet initial de la ZAD en question.
La multiplication de ZAD ne bloquera pas plus le « global » que les positions autrefois acquises par le travail organisé (mutuelles, associations, coopératives, syndicats et partis) n’ont démantelé le capitalisme. Autant les ZAD sont souvent un lieu d’affrontements positifs, autant le zadisme répand l’illusion que les questions écologiques offriraient un terrain privilégié pour un « front de lutte » dans un bras de fer avec l’État, pour peu qu’on y choisisse les bonnes méthodes de combat. C’est oublier qu’aucune urgence n’a en elle-même un pouvoir rassembleur et vecteur de changement.
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L’écologie politique prétend faire économiser des ressources, notamment de l’énergie, à un système voué à surproduire et à surconsommer. Or, s’il est préférable de remplacer les sources fossiles par des renouvelables, celles-ci ont leurs limites, en particulier un fonctionnement intermittent. C’est avec la soif d’énergie inhérente au monde capitaliste qu’il faut rompre, mais de cela l’écologie en tant que science et politique est incapable. À preuve, son acceptation du tout-numérique, qui suppose le tout-électrique et avec lui l’ensemble de ses conséquences. L’écologie politique n’apporte que d’autres solutions au même système.
Au final, pour des gens qui se targuent de réalisme (et nous reprochent volontiers notre « utopisme »), le bilan est maigre. Les écolos réformateurs ne réforment guère, et les radicaux obtiennent à peine plus que les modérés. La situation climatique empire : rester sous un seuil de 1,5° ou 2° de réchauffement exigerait d’ici à 2030 et à 2050 une transformation du mode de production et du mode de vie que rien ne prépare aujourd’hui. Dans la course de vitesse entre l’amélioration et la dégradation, la planète reste jusqu’ici largement perdante. On n’a pourtant jamais autant parlé d’écologie. Politiquement, l’échec est patent.
G.D., janvier 2021
LECTURES & REMARQUES
Rachel Carson, Printemps silencieux (1962), Wildproject Éditions, 2019.
René Dumont, L’Utopie ou la Mort, Seuil, 1973.
Serge Latouche, Vers une société d’abondance frugale, Mille et une nuits, 2011.
Serge Latouche montre bien les limites du « développement durable », c’est-à-dire d’un capitalisme moins polluant lui permettant de durer davantage. Mais, capitalisme étant pour lui synonyme d’illimitation, il s’agit de trouver les moyens de nous donner des limites. Se référant notamment à des exemples africains, il prône un échange marchand qui ne s’orienterait pas vers le « tout-marché ». Sur le chemin de la modération, il croise Castoriadis, qu’il cite élogieusement : « en tant qu’unité de valeur et de moyen d’échange, la monnaie est une grande invention, une grande création de l’humanité », et il suffirait maintenant de « réenchasser l’économie dans le social ». C’est l’éloge d’une petite production marchande, d’un précapitalisme incapable de donner naissance au capitalisme parce qu’il resterait sous notre contrôle à tous. Le développement du commerce athénien et les foires médiévales ont pourtant conduit à la bourse des actions d’Amsterdam et à Wall Street. Serge Latouche imagine résoudre un problème par des moyens similaires à ceux qui l’ont engendré.
Écosocialisme :
Sous ses multiples variantes, l’écosocialisme a beau présenter une analyse « de classe » du problème écologique, sa solution se veut transversale et interclassiste, en une large alliance mêlant travailleurs, militants verts, femmes, peuples du Sud, activistes des droits de l’homme et dominés de toutes catégories (seuls les 1 % « oligarchiques » sont exclus). Éternel programme d’une impossible révolution graduelle, à ceci près qu’aujourd’hui elle serait « écodémocratique ».
Daniel Tanuro, L’Impossible Capitalisme vert, La Découverte , 2012.
Michel Husson, Six milliards sur la planète : sommes-nous trop ?, Textuel, 2000.
Un exemple de convergence du marxisme universitaire et d’ex-cadres intellectuels du PCF : Jean-Marie Harribey, « Marxisme écologique ou écologie politique marxienne », Dictionnaire Marx contemporain, PUF, « Actuel Marx confrontation », 2001.
Site Climate & Capitalism (« Ecosocialism or barbarism : there is no third way »)
École de la « rupture métabolique » (dont nous reparlerons à l’épisode 7) : Paul Burkett, Marx’s Vision of Sustainable Human Development, 2005 :
John Bellamy Foster, Brett Clark et Richard York, The Ecological Rift. Capitalism’s War on the Earth, Monthly Review Press, 2010 :
Sur les propositions politiques de Foster :
https://www.solidaire.org/articles/john-bellamy-foster-monthly-review-le-capitalisme-ne-pourra-jamais-etre-vert
Naomi Klein, Tout peut changer. Capitalisme et changement climatique, Actes Sud, 2015. Le titre anglais – Capitalism vs. the Climate – est plus directement opposé à un capitalisme dont les chapitres 2 à 5 décrivent les effets, non sa logique profonde. Lucide sur les limites de l’écologie politique et le greenwashing, Naomi Klein a cependant confiance en un changement d’attitude des gouvernements et du Big Business, pourvu que s’exerce une pression des masses un peu partout : Blockadia aurait raison du « globalia » des multinationales. Pour elle comme pour les écosocialistes, le capitalisme cesserait d’être capitaliste s’il était contrôlé par nous tous, le peuple.
À l’extrême gauche, chaque parti ou groupe se doit désormais d’ajouter une page écologique à son journal ou à son blog. Un exemple parmi cent d’opportunisme : « La IVe Internationale victime du réchauffement climatique », Le Prolétaire, septembre-octobre 2019.
Ce qu’explique Le Prolétaire n’est pas propre à ce groupe trotskyste. Une bonne partie de l’extrême gauche tend à considérer la contradiction bourgeoisie/prolétariat comme secondaire par rapport à celle entre la surcroissance capitaliste et ses limites naturelles, opposition qui a l’avantage de concerner quasiment tout le monde : aussi bien les prolétaires que les femmes, les minorités sexuelles, les opprimés en raison de leur « race », les jeunes et d’une façon générale les peuples des pays autrefois qualifiés de tiers-monde, tous victimes à un degré ou un autre du changement climatique et donc susceptibles d’être mobilisés dans des actions « pour le climat ». Mais, comme l’écrivaient les situationnistes, « encore faut-il avoir les moyens de son opportunisme » (IS, no 7, 1962).
« L’écologie profonde » est un cas à part. Les tenants de la deep ecology reprochent à l’écologie classique comme à celle anticapitaliste de considérer l’ensemble de la vie du point de vue de la seule espèce humaine, et de ne s’intéresser aux déséquilibres écologiques (la perte de la biodiversité, par exemple) que dans la mesure où ils nuisent aux humains. Pour ce courant, l’ensemble du monde vivant n’est pas à traiter comme une « ressource » : il a une valeur indépendante de son utilité pour les êtres humains.
Cela en rapport avec l’idée que la crise environnementale oblige à remplacer ou compléter le « contrat social » de la démocratie moderne par un « contrat naturel » (Michel Serres), à instaurer un « parlement des choses » (Bruno Latour), et à accorder des droits aux non-humains, thèmes également de l’antispécisme, mais ils sortent de notre sujet.
Afin de ne pas alourdir davantage ce texte, nous n’aborderons pas non plus ici des groupes comme Deep Green Resistance et Extinction Rebellion, qui mériteraient une critique autant de leurs fonctionnements que de leurs théories.