Maresia Dalua, Contre la politique. Pas un cheveu blanc n’a poussé sur nos rêves, Séléné, 2016, 73 p.1
Sous le nom collectif de Maresia Dalua, plusieurs personnes dressent le bilan de leur expérience militante vers 1980-2000 dans des organisations issues de la Gauche Communiste ou « ultra-gauches », dont ils n’indiquent pas les noms, certainement par refus de polémiques inutiles.
Critique du militantisme, le texte l’est aussi de la politique, définie comme « dépossession d’une partie de la communauté de toute possibilité d’agir et décider directement », quand « l’organisation de la vie elle-même est devenue une sphère particulière (..) dans laquelle des techniciens décident désormais de nos existences. » A la tête de l’Etat, des spécialistes servent une classe exploiteuse et, en démocratie capitaliste, des spécialistes servent dans les partis en concurrence pour le pouvoir.
Le mouvement social subit un phénomène analogue quand il décline et s’étiole en organisations ne vivant plus que pour se perpétuer. Au crépuscule des luttes, certains se rassemblent avec la conviction que ce qui manque aux prolétaires défaits ou découragés, ce sont des informations, des liens, heureusement le groupe révolutionnaire va les aider à (re)trouver ces informations et à (re)créer ces liens. Mais souvent les militants manquent de capacité, et surtout de volonté. Alors, pour les stimuler, interviennent les « cadres », véritables instructeurs, animateurs et épurateurs d’un groupe qui bientôt passe son temps à recruter, à exclure, à recruter… Les idées virent à l’idéologie, et la théorie se stérilise. On s’était organisé pour agir, on était un effet de luttes réelles dans la société, mais quand elles dépérissent, l’organisation se replie, s’autonomise, a plus de rapport avec elle-même qu’avec le monde, et l’exhortation remplace l’énergie. Enfin, lorsque surgissent de nouvelles luttes, l’organisation est incapable de les reconnaître pour ce qu’elles portent de nouveau. Celui qui se voulait dépositaire du passé le plus révolutionnaire se retrouve hors-temps. Celui qui se croyait enraciné dans « la classe » se retrouve hors-sol.
Le tableau n’est pas sans rapport avec aujourd’hui. Certes, le léninisme constructeur de partis a cédé la place au culte de la base, et le bureaucrate se dit partisan de la démocratie directe2. La mode est moins à la négation de soi qu’à l’auto-affirmation. Mais si le militantisme sacrificiel et masochiste a presque disparu, remplacé par la volonté de chacun de préserver sa liberté individuelle (et collective), la tendance à faire vivre des organisations pour elles-mêmes est toujours là. La faiblesse des luttes de classes conduit souvent des structures autonomes à s’auto-entretenir, croyant ainsi contribuer au mouvement social (jadis, les « groupuscules » le faisaient pour « organiser la classe » ou « servir le peuple »). Quand, pour « faire vivre » un infokiosque, ses animateurs invitent des orateurs avec lesquels ils sont d’accord à demi ou au quart, on gagne moins en clarification qu’on ne perd en confusion.
Quoique le lecteur comprenne la volonté de « Maresia Dalua » de régler d’abord des comptes avec elle-même, il regrette l’absence d’un ou deux exemples expliquant comment le groupe où elle militait, organisation née d’un mouvement vivant, a ensuite dépéri d’agir en secte.
A quelques variantes près, le bilan dressé dans ce texte aurait pu l’être en 1972, année du Militantisme, stade suprême de l’aliénation. Quand les auteurs en appellent à l’autonomie, à la liberté, à l’imagination, et écrivent qu’ « Il faut accepter un temps de se perdre », cet espoir, cette formule évoquent ce qu’avait de fort le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations publié en 1967. Cette qualité d’intemporel est un mérite, c’est aussi une limite.
Qu’avait de spécifique la période dont parle ce texte ? En quoi l’« associationnisme prolétarien » (concept-clé pour les auteurs) était-il différent en 1980, 1919, 1848, et qu’en est-il en 2016 ? Qu’est-ce qui différencie ce que Maresia Dalua appelle « le moment révolutionnaire » ? Comment les prolétaires peuvent-ils créer et garder leur autonomie dans la lutte ? Afin d’agir ensemble, les prolétaires s’associent, sans médiation syndicale ou de parti, mais pour quoi ? Quel « contenu » aurait une révolution future ?
G.D., novembre 2016
1 Pour le lire : leshabitantsdelalune@yahoo.fr Parmi les textes de ce groupe, signalons surtout Nous sommes une image du futur, fragments vécus du soulèvement de décembre 2008 en Grèce (2009, 46 p.).
2 Le Militant au 21e siècle, août 2014.