Du royaume polono-lithuanien à la Chine en passant par l’empire ottoman, Geoffrey Parker dresse sur près de 900 pages un tableau synoptique du monde affecté par le “petit âge glaciaire” : celui-ci s’étend du 14e siècle au 19e, mais atteint son paroxysme entre 1570 et 1730, et son maximum vers 1560-1600. 1 Une variation de plus ou moins un dixième de degré avance ou retarde la maturation des récoltes d’un jour. Après 1690, le refroidissement recule les moissons de deux semaines en moyenne dans les zones tempérées. Le froid n’est d’ailleurs pas le seul fléau : en 1645-46, il pleut presque toute une année en Sicile.
Au 17e siècle, un tiers de l’humanité en serait mort, directement ou indirectement. En France, entre 1691 et 1701, sur 20 millions d’habitants, la « surmortalité » s’élèverait à un million, dont 600.000 dans « le Grand Hiver » de 1708-1709. Les survivants n’en sortent pas indemnes : la taille moyenne des soldats de Louis XIV diminue. Un chroniqueur allemand écrit en 1622 : « On n’échangeait plus avec de l’argent, on faisait du troc », mais à Shanghai en 1642, selon Geoffrey Parker, « la seule monnaie qui pouvait acheter du riz, c’étaient les enfants ».
Cependant, le cataclysme ne frappe pas également tous les pays : l’Inde des Moghols, l’Iran, le Japon échappent au pire. Lombardie est épargnée, Naples et la Sicile sont peu concernés. Après 1680, quoique le petit âge glaciaire continue, les conflits politiques et sociaux s’apaisent. « La synergie fatale avait été brisée », constate Parker.
Le facteur décisif n’est pas le climat et ses conséquences, mais la capacité des sociétés et des Etats à s’y adapter.
Si l’empire ottoman est probablement le pays qui souffre le plus, il le doit à sa situation géopolitique et à ses faiblesses structurelles. Inversement, le Japon unifié début 17e siècle par le clan Tokugawa instaure un cadastre, un système fiscal et des voies de communications alors inégalées en Europe. Pendant plus de deux siècles, l’équilibre politique reposera sur un « compromis social» entre la noblesse, la classe marchande et la paysannerie propriétaire. Quand survient la famine (1641-42), le régime fait des stocks et les répartit, oblige à cultiver du riz, modère les impôts, force à la sobriété contre le luxe, réduit le commerce extérieur au minimum, et profite de l’isolement géographique du pays pour éviter des dépenses militaires. Cette politique limite les effets de la crise et contrôle les troubles.
Le 21e siècle diffère du 17e : le système capitaliste est devenu une force capable de bouleverser les équilibres nécessaires aux conditions matérielles de la vie sur Terre telle que nous la connaissons, et pas seulement par la pollution nucléaire. La « crise globale » où nous sommes entrés sera d’une autre ampleur que celle analysée par Parker. 2
Pour autant, pas plus qu’au 17e siècle, le changement climatique n’est un nouvel agent historique remplaçant l’action humaine comme facteur décisif. Refroidissement et réchauffement font seulement partie d’une synergie dont les éléments convergent en crise. Ce que nous appelons « nature » ne joue un rôle que dans des dynamiques faites de situations et de contradictions sociales. Il n’y a pas de déterminisme climatique.
G. D., août 2016.
1 Global Crisis : War, Climate Change & Catastrophe in the 17th Century, Yale University Press, 2013. On ne peut qu’en souhaiter l’édition en français.
2 Agnès Sinaï, « Aux origines climatiques des conflits », Le Monde Diplomatique., avril 2015.